jeudi 10 janvier 2013

Théâtre de l'Est Parisien (TEP) 1983-1986 : Chronique d'une mort annoncée 1

(1) Dans la jungle de la ville

"Le théâtre est l'un des lieux où le fracas des sonorisations et des poncifs proclamés se tait. Dieu merci ! Mais c'est d'abord le lieu des artistes à qui personne ne peut contester la liberté d'écrire, de mettre en scène et de jouer à leur manière. Leur imagination est leur pouvoir et ainsi va le monde. Il se recrée avec eux. Mais tenter quelque chose qui modifie partiellement les règles du jeu et risque même d'enrichir ce jeu, en retrouvant l'écoute d'autrui, n'est pas interdit. Il suffit de passer le pont que les autres ne franchissent pas."
Gilles Costaz, La société sur écoute, in TEP Mémento n° 23


J'ai déjà traité sur ce blog de ce que fut l'originalité du TEP créé en 1963 par Guy Rétoré dans la salle d'un vieux cinéma de quartier (Le Zénith). En plein Ménilmontant, il eu une influence importante non seulement sur la vie d'un quartier mais sur l'évolution de nombreux individus.


Avant de revenir sur mon "expérience vécue" dans ce théâtre, il m'a semblé utile de citer quelques jalons de son évolution. La mémoire s'évanouie vite,… et il y a des faits qui méritent de ne pas être oubliés.
Pour que le TEP puisse jouer pleinement un rôle original comme lieu de création théâtrale, deux questions se posaient : celle de sa reconnaissance et celle de la qualité de l'accueil des spectateurs (et des artistes). Réto "ronchonnait" (je plaisante,… mais il avait un côté ronchon !), rappelant l'exigence transmise par Jean Vilar : permettre aux spectateurs de bien voir, bien entendre et être bien assis constitue la forme élémentaire du respect qui leur est dû .


Première étape : en 1972, Jacques Duhamel, Ministre des Affaires Culturelles, avait fait du TEP un théâtre national. Un théâtre national… dans un vieille salle de cinéma ! Certes les projets de rénovation, ou de reconstruction, n'ont pas manqué durant ces années. Quelques expressions suggérées alors illustrent l'avancée de ces projets : embrouillée, fastidieuse, années de finasseries et de dérobades, calendes grecques, valse hésitation,…
En mai 1981, Jack Lang devient Ministre de la Culture et augmente la subvention du TEP (en fait la subvention qui avait diminué retrouve le niveau de 1978). La reconstruction du TEP est à nouveau à l'ordre du jour, et en 1983, le bâtiment est démoli sur décision de Jack Lang. En attendant, que l'équipe de Réto puisse prendre possession du nouveau théâtre, elle s'installera dans une salle provisoire, aménagée dans la salle de répétition du 159 Avenue Gambetta. Cette salle provisoire est inaugurée en octobre 1983 par trois soirées de variétés auxquelles participent Raymond Devos, Francis Lemarque, et Léo Ferré. Mais… 

Mais… à mesure que le temps passait, il devenait de moins et moins évident que les nouveaux locaux seront attribués au TEP. D'un côté, le pouvoir voulait faire du nouveau théâtre un lieu de prestige. Ce sera le théâtre de la Colline. De l'autre, Réto voulait conserver dans un lieu mieux adapté que l'ancienne salle, la proximité et l'intimité correspondant à sa conception du "théâtre populaire". Pour lui la nouvelle salle, immense bâtisse de métal et de verre, ne correspondait pas à son public. Ce qui était vrai et faux. FAUX, dans le sens où le Théâtre de la Colline bénéficia non seulement d'un lieu, mais aussi de la création laborieuse d'un public "de quartier" qui avait été une des fonctions du TEP jusque là. Mais ce public sera dispersé au sein d'une masse de spectateurs venant à la Colline comme ils allaient dans d'autres "lieux de culture" dispersés en banlieue. On peut même supposer que pour certains s'aventurer dans ce Ménilmontant, village de province en plein Paris (enfin… en périphérie !), ajoutait au plaisir du théâtre celui de l'exotisme. VRAI, dans le sens où recréer l'ambiance propre à ce qu'avait été jusqu'ici le TEP dans ce palais de verre aurait été un pari stupide. 

C'est donc ainsi que ce qui devait arriver (faudrait-il écrire ce qui avait été prévu et programmé ?) arriva.   Il ne semble pas que le ministère fit de grand effort pour faire fléchir Réto. A l'automne 1986, Robert Hossein est considéré comme le nouveau directeur, mais il faudra attendre le printemps suivant pour que la nomination ait lieu. L'élu sera Jorge Lavelli, remplacé en 1996 par Alain Françon (puis Stéphane Braunschweig en 2010).
 
Retour à la case départ, c'est à dire dans la salle provisoire (!) de l'Avenue Gambetta. Réto, reste - et restera - dans cette salle, en conservant le nom de théâtre de l’Est parisien, et en dépendant du nouveau théâtre dont il est en quelque sorte locataire. Le TEP devient alors simple "structure de production et de diffusion" puisque pour les autorités le successeur de l'ex-TEP théâtre national,… c'est la Colline. C'est donc dans une salle de dimension modeste mais de conception chaleureuse que se déroulera la deuxième partie de la vie du TEP (1). 


Un dernier mot avant de conclure provisoirement. Bien que n'ayant pas le goût d'étaler ma vie privée sur la voie publique, pour que ce qui suivra soit plus clair, je préciserai que au moment ou prenait corps la deuxième vie du TEP (… comme d'ailleurs par la suite), l'ex-chef d'orchestre et l'ex-violoniste du Bastringue vivaient en couple (comme on dit dans Facebook). J'utiliserais donc par la suite le Je ou le Nous sans plus de précision. Ajoutons que durant ces années, nous avions déménagé dans une petite rue de Ménilmontant, où - par un hasard faisant bien les choses - certaines de nos fenêtres donnaient sur l'arrière du bâtiment du nouveau TEP. Nous pouvions quasiment aller au théâtre en chaussons ! 

Un ultime dernier mot. Pour tout ce qui concerne les péripéties du TEP mentionnés ci-dessus, à chaque fois que j'ai eu un doute ou un trou, j'ai plongé la main en bas et à gauche de la bibliothèque et j'en ai ressorti le livre d'Alfred Simon "Le TEP, un théâtre dans la cité" (Ed. Beba). Sur la page de garde de notre exemplaire, quelques lignes manuscrite de George Werler qui se terminent par ces simples mots : "A tout à l'heure". A tout à l'heure donc, ou plutôt à plus tard, pour retrouver la deuxième vie d'un théâtre pas comme les autres, et voir comment une aventure censée durer une saison se prolongea sur plusieurs années.




(1) Guy Rétoré laissera sa place de directeur en juillet 2001, après une longue polémique l'opposant à Catherine Trautmann sur la nomination de son successeur, Catherine Anne. 

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